Rencontre entre un CAMSP et le monde des Livres de la Jeunesse
Au départ, le projet « Des Livres à Soi »
En 2020, l’éducatrice du Camsp (1) St. Thys découvre le projet national « Des Livres à Soi ».
Elle pré-sent un apport original et intéressant pour nos projets de soins, et convaint deux autres professionnels (orthophoniste et psychologue) à se mobiliser dans ce cadre.
L’action démarre en 2022, actuellement nous sommes dans la quatrième année de fonctionnement.
Le Projet « Des Livres à Soi » :
Ce projet national a été initié par le Salon du Livre et de la Presse Jeunesse en Seine-Saint Denis depuis 10 ans. Il vise à démocratiser la lecture et à accompagner des parents en difficulté d’accès à l’écrit et à la lecture, dans l’acte de lire des histoires à leurs enfants, et ce dès leur plus jeune âge. Le public visé par cette action, dans un contexte socio-culturel fragile, recoupe en partie celui du CAMSP.
L’originalité consiste à proposer aux parents seuls, sans leurs enfants, des ateliers de découverte de différents types de livres Jeunesse, au cours de 6 rencontres de 2 heures. Une fête de clôture, avec les enfants, termine l’aventure. Parallèlement, des sorties sont programmées, en bibliothèque ou médiathèque, dans un Salon du Livre et en librairie. Chaque famille reçoit 80 euros de chèque lire pour pouvoir acheter des livres de leur choix, pour les avoir « à Soi ».
Les parents empruntent également des livres au terme de chaque atelier pour les lire à leurs enfants à la maison. A l’atelier suivant, un retour partagé est fait sur la manière dont les livres ont été lus et accueillis par les enfants.
Également intéressant, les ateliers s’organisent avec plusieurs structures partenaires sur le même secteur géographique, la plupart du temps des centres sociaux, des ressourceries parentales, des crèches etc. Le médico-social est peu représenté. En tout, le groupe accueille entre 10 et 20 familles selon les années.
Les professionnels reçoivent une formation conséquente à la médiation par le livre avant le démarrage, dispensée par les porteurs de projet qui transmettent, en même temps qu’un grand nombre d’éléments théoriques, leur investissement important et leur passion pour le projet.
Le choix des livres, de la part de l’équipe du Salon du Livre de la Jeunesse, mérite une mention particulière. Nous avons découvert une richesse insoupçonnée à tous les niveaux, une créativité et un professionnalisme incroyables dans la conception, le contenu, la présentation des albums.
Les objectifs pour l’équipe du CAMSP :
1) Permettre aux parents de trouver une place dans un groupe social hors CAMSP :
Lorsqu’une famille vit la naissance d’un enfant différent, fragile, malade, elle se retrouve dans un contexte psychologique et médical particulier. Elle doit faire face à une situation traumatique, avec des inquiétudes et angoisses importantes, et qui envahissent la plupart du temps tout l’espace du quotidien, et ce sur une temporalité longue. Les parents sont enfermés dans une bulle qui est peu accessible à d’autres personnes, en dehors des professionnels du médico-social. Les contacts sociaux sont parasités par les contraintes médicales d’abord, mais aussi par la difficulté de partager un vécu si insaisissable, si inacceptable, si hors du commun. Presque toujours les parents sont envahis par le sentiment d’avoir commis une faute, par la honte, par le doute sur leur capacité d’être parent.
Un grand isolement social en est bien souvent la conséquence.
Le projet DLAS était donc très adapté pour accompagner des parents du CAMSP dans un environnement social autre que médical.
Les ateliers sont bien sûr conçus sur un mode très convivial, avec un goûter, des boissons etc.
Dès le début, nous mettons en pratique un des grands principes du projet :
Il s’agit de construire ensemble un moment où chacun prend du plaisir.
Toute parole est légitime et intéressante, elle apporte un plus. Il n’y a pas de « savoir », mais différentes manières de se saisir des propositions, et qui s’enrichissent les unes les autres.
Cet aspect nous semble particulièrement important pour des familles dont l’estime de soi est tellement mise à mal.
Pour les parents du CAMSP, les échanges autour des enfants, lors de l’accueil et de la restitution, leur permettent de voir que d’autres parents sont également en difficulté. Certaines problématiques rejoignent les leurs, et leur redonnent une place parmi d’autres parents.
Pour beaucoup de parents d’enfants porteurs de handicap, leur vœu le plus cher est qu’il soit comme les autres. Cela devient un peu le cas dans ces discussions.
Les discussions permettent également de valoriser les moments agréables, joyeux, qui existent mais ne prennent pas toujours leur place dans une ambiance familiale souvent tendue.
L’expérience montre que les parents se mélangent facilement entre les différents groupes, en fonction des choix de livres, pour découvrir les albums, avec des échanges, des commentaires, des rires. Des liens avec d’autres parents se sont créés, et également avec les équipes des autres structures.
Les liens créés entre les parents ont également permis un accueil respectueux des enfants porteurs de handicap, lorsque ceux-ci n’ont pas pu être gardés ailleurs pendant les ateliers. Les enfants sont également présents lors de certaines sorties, et bien sûr au spectacle de fin d’année et à la fête de clôture. Nous sommes là sur le travail de l’inclusion, avec un accompagnement autour de l’accueil d’enfants différents.
2) Apporter aux parents des éléments médiateurs dans la relation à leur enfant
Lors des ateliers, nous faisons vivre aux parents la découverte des différents types de livres. Je dis bien, on le leur fait vivre, car l’accès aux livres passe par un éprouvé, un ressenti, transmis et partagé par une autre personne.
Le Sensoriel et la Voix
On utilise 5 types de livres : Pop-Ups , ABCdaires, des Albums Tout en Images, des Livres jeux et des Livres sonores.
Ces livres sollicitent divers canaux sensoriels :
– La vue bien entendu avec les images, les couleurs, l’exploration de la page .
– L’audition à travers des bruits émanant du livre, par la lecture à voix haute, avec différents volumes, intonations et mélodies de la voix.
– Le toucher à travers la texture, les reliefs, les différentes matières.
– Mais aussi la motricité, on tourne les pages, on se positionne d’une certaine manière, on tient le livre en fonction de sa taille, son volume, on le montre à une voisine. On fait des mimiques et des gestes.
Au cours des ateliers, on se met en rond pour donner et trouver à tour de rôle des énigmes, imiter les mouvements que le livre nous montre. Le fait de se lever ensemble apporte une nouvelle dynamique au groupe.
Par exemple, j’ai en tête une séance mémorable de « gymnastique » en groupe provoquant une immense partie de rire pour tous les participants.
Mais même en dehors de ces moments joyeux, le corps réagit toujours à la lecture, ne serait-ce que par des mouvements infimes.
Pour les parents du CAMSP, tous ces aspects sensoriels que nous mettons en avant, permettent plus facilement d’adapter l’utilisation du livre aux besoins souvent particuliers de leur enfant.
Mais il y a également le rôle magique du portage par la voix, dont nous faisons l’expérience pendant les ateliers.
Une personne qui lit, ou raconte, à haute voix crée un espace commun, sur un contenu partagé, avec attention conjointe. Cet espace est rempli d’impressions, de ressentis, d’émotions. C’est souvent un court moment, mais il mobilise le monde émotionnel de la personne, et particulièrement celui de l’enfant. Bernard Golse parle d’un « bercement auditif ».
Ces moments soutiennent le développement affectif de l’enfant, ils donnent de la texture à la rencontre entre parent et enfant. Et ils permettent également ce qu’on oublie trop souvent dans le monde d’aujourd’hui, prendre du temps.
Soutenir la transmission générationnelle
Mais il y a un autre aspect important. La naissance d’un enfant porteur de pathologie produit « un certain nombre d’effets traumatiques, dont un effet de fracture du lien de filiation » ( A. Ciccone). L’étrangeté de l’enfant affecte son inscription dans une filiation générationnelle inconsciente. Au lieu d’une identification du parent avec l’enfant, « il se produit une séparation précoce, brutale souvent, une dé-génération, pourrait-on dire.. .» (A. Ciccone) Ce sont alors des vécus de sidération, de perte de repères qui envahissent les parents et la famille. La transmission générationnelle est mise à mal. Des mécanismes psychiques permettent bien sûr de surmonter cette fracture, sur un mode défensif, et avec une temporalité longue.
Il nous semblait intéressant, dans ce contexte de travailler sur deux registres.
– Le premier concerne la sollicitation « de l’enfant qui sommeille dans le parent », afin de l’aider retrouver des traces anciennes de sa propre enfance.
Nos livres mettent en jeu l’enfance bien sûr, et à de nombreuses reprises les parents rapportent des souvenirs de leur propre enfance. Ils sont racontés aux autres parents, comparés, complétés d’une manière très vivante. C’est un élément porteur pour tous les parents, mais particulièrement lorsqu’un parent, dérouté par son propre enfant, a du mal à le relier à son enfance à lui pour construire une histoire dans la continuité de la famille. Des éléments psychiques de sidération, de perte de repères impactent la continuité de la transmission parentale. Le contexte des ateliers valorise au contraire tous ces éléments qui sont favorisés et accueillis par le groupe.
Les anecdotes et histoires du passé apportent de l’épaisseur à la transmission parentale, et remettent en scène un pont qui permet psychiquement de relier ces deux moments de vie, comme un pont re-humanisant faisant lien à nouveau.
– Le deuxième registre concerne la valorisation des compétences parentales.
Les effets traumatiques d’une annonce d’un handicap mettent à mal la confiance qu’ont les parents en eux, et en leur capacité de s’occuper de leur enfant.
Les ateliers DLAS sollicitent les parents dans leur capacité à éprouver et à transmettre du plaisir dans une activité ouverte sur le monde. Cette action rentre dans une conception de « Santé Mentale », pensée ici autour du développement affectif, social et cognitif de l’enfant. On est donc très loin des modèles d’éducation classique.
Lors des ateliers, nous faisons vivre aux parents ce qu’ils peuvent transmettre à leurs enfants. C’est un guidage tout en douceur, basé sur le respect et la mise en valeur de la culture parentale de chacun. C’est un rappel de l’importance de petites choses, pourtant essentielles, que chaque parent peut apporter à son enfant, et dont bien souvent il n’a pas conscience. Nous les encourageons à trouver de petites stratégies, à avoir des attentes raisonnables, à y croire, pour que leur enfant puisse se poser, avec eux, dans un petit moment de plaisir partagé. Très souvent cela est plus facile que ce qu’imaginaient les parents. Et régulièrement nous avons pu observer des trésors de créativité qui ont pu se déployer dans ce contexte.
La reconnaissance des parents est matérialisée par la remise officielle et individuelle d’un diplôme à tous les parents lors de la fête de clôture. C’est un moment très émouvant, à la fois pour les grands, mais aussi pour les enfants qui voient leurs parents reçevoir un document attestant leurs compétences.
Les répercussions sur le service CAMSP
Le portage du projet « Des Livre à Soi » a d’importantes répercussions sur le fonctionnement du CAMSP.
Les professionnels engagées dans le projet doivent déployer beaucoup d’énergie à la mise en place d’abord, à la réalisation ensuite.
Leur disponibilité dans les suivis habituels est moins importante, avec notamment des séances annulées lors des ateliers.
Nous avons eu la chance d’être soutenu par une direction et par une équipe convaincues de la valeur de ce projet pour l’ensemble des familles suivis au CAMSP, même si la participation régulière était limitée à une dizaine de parents.
Les perturbations au niveau des suivis ont été compensées par nos collègues, les emplois du temps adaptés, les changements de dernière minute absorbés.
C’est aussi grâce à cette dynamique d’équipe que le projet a pu être mené à bien, et nous en remercions nos collègues et notre direction.
Les éléments positifs sont nombreux :
Ces ateliers ont également un effet sur le positionnement des parents autour du soin de leur enfant au CAMSP. Ils voient des professionnels dans un cadre de plaisir partagé, sans but thérapeutique ou rééducatif déclaré, et cela sort notre accompagnement du cadre purement médical. L’importance de soutenir le développement global de l’enfant, en dehors de sa pathologie, est mise en valeur. C’est une notion essentielle pour nous mais que les parents ont bien souvent du mal à comprendre.
On retrouve des parents plus détendus et plus communicatifs au CAMSP, avec une relation de confiance renforcée.
Pour les professionnels, le fait de voir les parents avec leurs enfants dans un autre contexte permet également d’affiner leur compréhension de la relation.
Conclusion :
Le cadre théorique proposé par l’équipe du Salon du Livre et de la Jeunesse est élaboré à partir d’un travail très approfondi sur l’apport des livres et de la lecture dans le développement de l’enfant et la parentalité. Ce cadre a été précieux pour nos élaborations spécifiques autour de l’enfant handicapé et de ses parents.
Les éléments évoqués plus haut dans notre réflexion concernent bien sûr toutes les familles, mais ils prennent une résonance particulière pour celles que nous accompagnons.
Le livre permet de redonner de la valeur à l’imagination et à la créativité, de s’échapper du réel pour réintroduire du lien entre le quotidien et la rêverie, le désir, les possibles. Il sollicite toutes les temporalités, le passé, le présent, l’avenir. Il permet de voyager dans le temps et dans l’espace avec une ouverture sur toutes les humanités.
Les représentations sollicitées par la création, et particulièrement le livre, aident à lutter contre les angoisses profondes, qui sont encore davantage présentes chez des parents d’enfants différents. Ces angoisses, les inquiétudes, les menaces sont re-vécus à travers les histoires et permettent une élaboration partagée.
Le projet « Des Livres à Soi » nous rappelle que l’histoire de chacun est construite à partir de petites choses, et qu’elles sont précieuses.
Mois de Mars 2025
Katja Wesselmann
Psychologue CAMSP St. Thys
Remerciements :
Un grand merci à l’équipe DLAS, et particulièrement à Pascaline Mongin et à Sylvie Vassalo, les responsables du projet.
Merci au Ministère de la Culture pour son soutien, et à la DRAC PACA pour la réalisation à Marseille.
Merci à Sophie Ignacchiti et Sylviane Giampino, psychologues, pour leurs interventions au cours des formations DLAS, dont j’ai repris quelques éléments.
Un grand merci à Sandra Guitton Philippe, directrice administrative du Complexe St. Thys, ARAIMC, qui s’occupe efficacement de la gestion financière de notre projet, et qui nous a soutenu dès le départ.
Bibliographie :
A. Ciccone , La transmission psychique à l’épreuve du Handicap, en » Cliniques du sujet handicapé », Ouvrage collectif, ERES
1) CAMSP : Centre d’Aide Médico-Social Précoce, lieu de soin pour les enfants de 0 à 6 ans.
Pour en savoir plus :
https://slpj.fr/actions/des-livres-a-soi/